« Une relation viable, comme une vie viable, ne nécessite pas la perfection — seulement ce qui est essentiel pour la faire tenir. »
Nous vivons dans une époque qui confond de plus en plus santé et perfection — que ce soit pour le corps, la carrière ou les relations amoureuses. À la moindre friction dans une relation, nombreux sont ceux qui redoutent la fin. Pourtant, comme un corps humain peut survivre — et même s’épanouir — avec certaines limitations, une relation peut rester viable, même si certaines parties sont absentes ou dysfonctionnelles.
Ce qui compte, ce n’est pas la perfection, mais le bon fonctionnement des éléments vitaux.
Cette idée, inspirée de la biologie, nous invite à repenser en profondeur notre conception de la santé relationnelle. Explorons ensemble cette métaphore entre organes vitaux et amour durable.
Le parallèle médical : vivre avec des limitations
Le corps humain est d’une résilience incroyable. Une personne peut vivre avec un seul rein, une jambe amputée ou même un stimulateur cardiaque. Sa vie peut être pleine de sens, de joie et de profondeur.
Selon la définition de la santé de l’OMS, il ne s’agit pas simplement de l’absence de maladie, mais d’un état de bien-être global — compatible avec l’imperfection. De même, une relation n’a pas besoin d’être parfaite pour être saine : elle doit simplement assurer une certaine viabilité émotionnelle et affective.
Quels sont les « organes vitaux » d’une relation ?
À partir de nombreuses recherches en psychologie relationnelle — notamment celles du Dr John Gottman, de la Dre Sue Johnson ou de Brené Brown — on peut identifier les composantes essentielles à toute relation durable. Ce sont nos organes vitaux relationnels :
La confiance (le cœur) Elle est le moteur de la connexion. Sans elle, l’amour devient anxiogène. Comme le dit Brené Brown : « La confiance se construit dans les petits moments… Ce n’est pas un grand geste, mais une répétition d’actes intègres. » Le respect (les poumons) Il insuffle de l’oxygène aux échanges. Le manque de respect asphyxie l’intimité. Le Dr Gottman a démontré que le mépris est le meilleur indicateur de rupture à long terme. La sécurité émotionnelle (le cerveau) Elle permet l’ouverture, la vulnérabilité, l’intimité. Sans cette sécurité, chacun reste sur la défensive. La Dre Sue Johnson rappelle : « Nous ne sommes pas conçus pour l’indépendance, mais pour la connexion. » L’engagement (le foie) Comme le foie filtre les toxines, l’engagement aide le couple à surmonter les conflits et les tensions extérieures.
Lorsque ces quatre piliers sont présents, la relation est viable, même si d’autres éléments ne sont pas au top.
Les « organes non essentiels » de la relation
Qu’en est-il de la compatibilité sexuelle, des centres d’intérêt communs, ou du style de communication ?
Ce sont des éléments enrichissants, bien sûr — mais non vitaux. Ils peuvent améliorer la qualité de vie amoureuse, mais leur absence ne signe pas nécessairement la fin.
Par exemple :
Un couple peut avoir une libido différente mais une grande tendresse. Des styles de communication opposés peuvent coexister avec respect et patience. Une divergence de goûts ou de tempéraments peut être compensée par la confiance et l’écoute.
Dans ces cas, la relation « boite » peut-être, mais elle avance toujours.
Quand un dysfonctionnement n’est pas une condamnation
Notre culture moderne idéalise la perfection, ce qui pousse à surévaluer certaines frustrations. Comme l’écrit Alain de Botton :
« Le bon partenaire n’est pas celui qui partage tout, mais celui qui gère les différences avec maturité et humour. »
Trop de personnes prennent un orteil cassé pour un arrêt cardiaque : un désaccord, un moment de solitude, une déconnexion passagère — et l’alarme sonne. Mais si les fonctions vitales de la relation sont intactes, elle est toujours en vie. Et elle peut être soignée, ajustée, transformée.
Ce que la recherche dit sur la durabilité amoureuse
Les relations qui durent ne sont pas forcément plus compatibles — elles sont plus résilientes.
Le Dr John Gottman a montré que les couples heureux savent réparer les conflits, valider les émotions, et maintenir un climat affectif sain. La rupture vient souvent non des disputes, mais de l’incapacité à les dépasser.
De son côté, Esther Perel observe que beaucoup de relations échouent non à cause de la trahison, mais à cause d’attentes irréalistes :
« Plutôt que de se demander “est-ce parfait ?”, il faudrait se demander “est-ce soutenable et porteur de sens ?” »
Une relation viable est une relation entretenue
Comme un corps a besoin de soins pour rester viable, une relation a besoin d’attention et d’entretien régulier. Voici un repère simple, résumé dans l’acronyme CARE :
C.A.R.E. — Les 4 fondations d’une relation viable
C – Conscience Être présent à soi-même et à l’autre. Observer ce qui se joue dans la relation, sans fuite ni automatisme. A – Attention (ou Awareness) Connaître l’univers intérieur de l’autre : ses blessures, ses besoins, ses limites. L’attention crée le lien. R – Respect Préserver la dignité de l’autre, même en désaccord. Le respect est le climat qui rend l’amour respirable. E – Empathie Écouter pour comprendre, pas pour corriger. L’empathie est la passerelle vers l’intimité profonde. Carl Rogers écrivait : « Être entendu sans jugement, c’est une forme rare et précieuse d’amour. »
En conclusion : viser la viabilité, pas la perfection
La vie est imparfaite. Le corps fatigue. Les relations traversent des zones de turbulence.
Mais comme en aviation, ce n’est pas la turbulence qui fait chuter l’avion — c’est la perte de communication ou le manque de vérification des systèmes vitaux. Si votre couple dispose encore de ses instruments de vol, si vous continuez à prendre soin l’un de l’autre, alors il est toujours dans les airs.
Abandonnons le mythe de l’amour parfait. Et engageons-nous plutôt à cultiver l’essentiel.
Parce qu’en amour comme en vie, la viabilité suffit à bâtir quelque chose d’extraordinaire.